- ALLEMAGNE - Allemagne du XVIe et du XVIIe s.
- ALLEMAGNE - Allemagne du XVIe et du XVIIe s.Entre 1519 et 1648 apparaissent en Allemagne de profondes transformations. Pendant qu’à l’ouest s’opère l’élaboration de puissantes monarchies, Espagne, France, Angleterre, persiste en Allemagne l’état féodal marqué par les progrès de l’oligarchie réduisant l’Empereur à l’impuissance et le peuple à la servitude. S’y ajoute au début du siècle la division religieuse, aux résonances sociales rapidement maîtrisées par les princes. C’est en Allemagne que Luther lance la secousse décisive qui va ébranler l’édifice romain et médiéval. L’Allemagne vit intensément – avec passion mais non sans dommages – tous les éléments politiques, économiques, sociaux et culturels du nouveau destin européen: ruine du rêve d’unité et d’hégémonie impériale des Habsbourg, apparition des nouvelles techniques de la finance, des transports, de la guerre, de l’information, consécutives aux grandes découvertes techniques et géographiques, modifications profondes des structures sociales et des mentalités, à la ville comme à la campagne, celles de la Renaissance et de l’humanisme, de la Réforme et de la Contre-Réforme, du baroque en art et en littérature. Au sein de ces courants, profonds et complexes, trois périodes peuvent être distinguées: le règne de Charles Quint (1519-1555), l’Allemagne après la paix d’Augsbourg (1555-1618), la guerre de Trente Ans, ses destructions et l’élaboration de nouvelles structures économiques et politiques (1618-1648), époque de gestation, douloureuse souvent, mais féconde dans le domaine du rayonnement spirituel sinon de l’expérience politique.1. La situation au début du XVIe siècleLe problème politique et l’élection impérialeÀ la fin du XVe siècle, les efforts des empereurs pour doter l’Empire d’une constitution efficace ont échoué. Face à l’Empereur, à la petite noblesse, aux villes, aux paysans, les princes affirment leur puissance territoriale: Hohenzollern en Brandebourg, Wittelsbach dans le Palatinat et en Bavière, Wettin en Saxe, Zähringen en Souabe. Malgré l’établissement de la «Paix perpétuelle» (1485), celui de la Chambre impériale (Reichskammergericht ), l’organisation des Cercles (Kreise ), la tentative d’institution du Gemeine Pfennig , l’Empereur n’a ni armée ni finances; les diètes sont fréquentes, verbeuses et impuissantes, les progrès administratifs sont réalisés à l’intérieur des principautés territoriales qui s’organisent en véritables États.La mystique impériale demeure cependant puissante dans la mentalité populaire. Elle tend à s’incarner dans la maison des Habsbourg dont les possessions ceinturent l’Allemagne et qui pratique avec obstination une politique matrimoniale et dynastique dont, après le règne de Maximilien Ier (1493-1519), elle recueille les fruits. En 1519, à la mort de Maximilien, deux candidats, François Ier, roi de France, et Charles d’Espagne, briguent les suffrages des sept Électeurs auxquels revient, depuis la «Bulle d’or» (1356), le soin d’élire, à Francfort, le nouvel empereur. La puissance financière que représentent les Habsbourg soutenus par les Fugger, banquiers d’Augsbourg, le patriotisme allemand réveillé chez la noblesse inférieure, les intrigues de Henri VIII, roi d’Angleterre, et du pape Léon X, le ralliement de l’Électeur de Mayence, le péril turc, la crainte du «despotisme à la française» entraînent l’élection de Charles d’Espagne, le 28 juin 1519. Entre les deux rivaux va s’ouvrir la lutte pour l’hégémonie européenne.L’humanisme et le problème religieuxOn assiste en Allemagne au développement de l’humanisme: en Alsace, où l’école de Sélestat a formé Jean Geiler, prédicateur à la cathédrale de Strasbourg et où Jacques Wimpheling écrit la Germania qui entraîne une riposte de Thomas Murner, à Cologne, à Mayence, à Heidelberg, à l’abbaye de Sponheim sur la Moselle, à Fribourg où Zasius renouvelle l’étude du droit romain. À Bâle, rattachée aux cantons suisses, existe une puissante maison d’imprimerie et d’édition, dirigée par Jean Amerbach, puis par Jean Froben; de même à Mayence et à Strasbourg; à Stuttgart, Jean Reuchlin rénove les lettres hébraïques; à Erfurt en Thuringe, à Nuremberg et à Augsbourg, forteresses européennes du capitalisme naissant, Willibad Pickheimer, Conrad Peutinger sont à la fois des hommes d’affaires et des savants. À Nuremberg, l’humanisme prend un caractère scientifique, scrute les mathématiques, l’astronomie. À Vienne se développe un humanisme attiré vers la science positive. Volontiers violent et agressif, cet humanisme tend à se confondre avec le sentiment national déjà vigoureux et se pénètre des rancunes des Allemands à l’égard de Rome.La puissance des villes et l’évolution économique et financièreL’essentiel de la richesse, sinon de la puissance, demeure dans les villes: celles du Sud, avec Augsbourg et les Fugger, issues du trafic avec l’Italie, pénétrées des influences d’outre-monts, Nuremberg, patrie de Dürer, de Fischer, de Hans Sachs, de Martin Behaim; celles du Nord, Hambourg, Lübeck, Stettin, Dantzig, cités de la Hanse dont la prospérité est menacée par des facteurs politiques – l’affermissement des États – et économiques – l’essor commercial des Hollandais et des Allemands du Sud. En 1494, les Fugger s’installent à Anvers, l’année suivante à Breslau, en 1496 à Lübeck, en 1502 à Stettin, Dantzig et Hambourg. Au siècle de la Hanse se substitue celui des Fugger.Symboles d’une bourgeoisie dont ils ne sont pas les uniques représentants, les Fugger vont à merveille profiter des nouvelles conditions: dynastiques par la liaison entre l’Espagne, le Nouveau Monde et l’Allemagne, géographiques par les grandes découvertes et la montée de l’Atlantique, techniques par l’essor de l’imprimerie, de la finance, du commerce de l’argent. L’avènement officiel de Charles Quint a des conséquences heureuses pour Jacob Fugger: il fortifie l’alliance de la grande banque internationale avec le pouvoir politique. Les dettes anciennes de Maximilien sont reconnues, les contrats de livraison du cuivre et de l’argent sont précisés, les Fugger s’installent en Espagne. La campagne menée par les États de l’Empire contre les monopoles – cause, dit-on, de la hausse des prix – tourne court. Quand, en 1525, meurt Jacob, bourgeois d’Augsbourg, conseiller impérial, comte de l’Empire, banquier du pape, la maison Fugger est à son zénith, au moment même où, à Pavie, François Ier est fait prisonnier et où est écrasée la révolte paysanne.Son successeur, Antoine (1525-1560) utilise les mêmes techniques d’alliance avec Rome et l’empereur: aide à Ferdinand d’Autriche, devenu roi de Hongrie après la bataille de Mohacz perdue contre les Turcs, aide à Charles Quint dans les affaires italiennes et allemandes. Anvers, capitale économique extérieure à l’Allemagne, joue un rôle croissant dans leurs affaires; les Fugger y vendent les épices et du cuivre hongrois et tyrolien, y traitent leurs contratsde livraison avec le roi du Portugal, y empruntent de l’argent. En 1560, quand meurt Antoine, les banquiers allemands ont pris l’habitude de vivre dangereusement, dans une alliance étroite et obligée avec le pouvoir, mais par la séparation croissante du commerce des valeurs mobilières de celui des marchandises, les Fugger et leurs alliés marquent le passage de l’État médiéval à l’État moderne.Les «laissés-pour-compte» et le problème socialDeux classes ou groupes sociaux apparaissent en perte de vitesse: la petite noblesse et les paysans. Coincée entre la montée bourgeoise et le cloisonnement territorial princier, diminuée depuis la fin des expéditions militaires, la petite noblesse rumine sa rancœur. Ses plaintes sont dirigées contre les limitations de ses droits juridiques et contre les «subtilités» des fonctionnaires formés dans les chancelleries princières. Elle forme une masse de manœuvre à la disposition de ceux qui sauront lui parler.À la fin du XVe siècle, les classes rurales souffrent d’une aggravation de l’autorité et de l’exploitation seigneuriales. Dans certaines régions le morcellement croissant des tenures, un peu partout le poids des dettes usuraires envers des prêteurs bourgeois aboutissent à un appauvrissement extrême, sinon à la dépossession de contingents importants de laboureurs et au développement d’un prolétariat rural facile à émouvoir. Depuis 1490, les paysans ont commencé à réagir. Ils ont pris pour emblème leur lourd soulier d’écraseurs de mottes, et le Bundschuh a, en 1493 et en 1502, soulevé les paysans d’Alsace et du Wurtemberg.Le rôle historique de LutherToutes les recherches conduites sur le climat religieux et social du début du XVIe siècle laissent subsister l’importance historique du rôle de Luther. Élaborée à l’aide des traditions anciennes, des souvenirs des conciles de Bâle et de Constance, des vieilles hérésies, de la mystique des Pays-Bas, vivifiée et enrichie par l’humanisme d’Érasme, l’idée de la réforme de l’Église dans son chef et dans ses membres a besoin pour être réalisée d’une puissance révolutionnaire explosive, capable, après une crise religieuse d’une rare intensité, de porter le problème sur sa base véritable, celle du salut par la foi et la réforme de la vie intérieure des individus.Après la proclamation à Wittemberg, par Luther, des quatre-vingt-quinze thèses (31 octobre 1517) dirigées contre les indulgences, la rupture avec Rome qui refuse toute discussion entraîne l’appel au concile puis l’excommunication de Luther (1520).2. Charles Quint et le rêve de l’unité (1519-1555)De religieuse, la révolte de Luther passe sur le plan politique; de mystique, elle devient sociale; d’allemande, elle passe sur le plan européen. En face de Luther, l’empereur Charles Quint rêve de maintenir, puis de rétablir, face aux villes et aux princes, l’unité catholique et impériale.La création d’une Église nouvelleLe 6 mars 1521, à la diète de Worms, sommé de se rétracter, Luther refuse: la diète le met au ban de l’Empire. L’Allemagne est alors troublée par une succession d’événements dramatiques: l’élection impériale et ses péripéties, le sacre du jeune Charles à Aix-la-Chapelle, les scènes de Wittemberg et de Worms, le grand refus de Luther et ses écrits de 1520 – La Papauté de Rome , L’Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande –, où il attaque les «trois murs de la romanité» et met l’accent sur la théorie du sacerdoce universel, La Captivité babylonienne de l’Église , La Liberté du chrétien et le traité Sur les vœux monastiques (1521).Suit une diffusion rapide de ces idées, transmises par une masse de pamphlets (Flugschriften ). Adhèrent à sa doctrine des humanistes, tel Melanchthon qui met en forme, dès 1521, la doctrine dans ses Loci communes ; des artistes, Dürer, les Cranach, Holbein; de petits nobles, Franz de Sickingen et Ulrich von Hutten, et surtout des bourgeoisies urbaines: Constance, Nuremberg, et, au nord, Magdebourg, Halberstadt, Breslau, Brême, Königsberg. En 1525, le grand maître de l’ordre Teutonique, Albert de Brandebourg, sécularise l’ordre et devient duc en Prusse. Suivent les villes de la Baltique, de Lübeck à Riga. Les princes s’interrogent. En 1526, la diète de Spire laisse à chaque prince la liberté «de vivre et de se comporter dans la question de l’édit de Worms comme il croirait pouvoir en répondre devant Dieu et devant Leurs Majestés». Les princes y trouvent la justification du droit d’organiser des Églises territoriales: en 1529 apparaît le nom de «protestants»; en mars 1531, entre les princes protestants se noue l’alliance de Smalkalde qui s’oppose à l’Empereur.Les explosions socialesLa révolte des chevaliersSe précisent alors les liens qui unissent la pensée religieuse réformatrice et les forces sociales. La tentative avortée et l’échec éclatant de Franz von Sickingen (1481-1523), dont Dürer a conservé les traits dans la fameuse gravure Le Chevalier et la Mort , symbolise le destin d’une classe sociale menacée, à la fin du Moyen Âge, politiquement par la montée des princes territoriaux, économiquement par les progrès de la bourgeoisie urbaine. La Réforme paraît aux chevaliers comme l’occasion de redonner prospérité et puissance au corps tout entier. Sickingen, le chef le plus entreprenant de la Ritterschaft , a protégé Luther lors de la diète de Worms. Il héberge, dans son château d’Ebernburg, Œcolampade et Bucer. Hutten, son ami, le presse de devenir le chef de la révolte allemande contre Rome. Le moment n’est-il pas venu de s’emparer des biens de l’Église? L’entreprise échoue. Les chevaliers sont vaincus par leurs séculaires adversaires, princes, villes et prélats. La Ritterschaft se trouve ainsi exclue comme force représentative de l’Empire.La révolte des paysansSi le message de Luther ne peut laisser indifférents les paysans misérables, leur révolte a des origines bien antérieures à la crise religieuse. Les premiers griefs des paysans ne visent que l’excès des corvées, les usurpations des communaux, les abus de la juridiction seigneuriale. Au début de 1525, le mouvement prend un caractère religieux, sous l’influence de prédicateurs zwingliens, dans le Sud, puis de Pfeiffer, de Thomas Münzer et de Carlstadt, en Saxe et en Franconie: libre choix des pasteurs, suppression des dîmes abusives et libre disposition des dîmes légitimes. Bientôt, dans les Douze Articles , est tiré de la Bible le programme d’une révolution politique et sociale, espoir éveillé dans les masses populaires par la prédication, annonciatrice de l’ère de justice promise par le Christ et les prophètes. Le mouvement, d’une exceptionnelle gravité, gagne plusieurs villes. De l’Alsace à la Saxe, il affecte à peu près toute l’Allemagne du Sud, débordant sur les territoires autrichiens jusqu’au Tyrol; les princes, tant luthériens que catholiques, avec l’appui des villes, le maîtrisent. La répression est atroce. Une servitude plus dure qu’auparavant s’appesantit sur la classe paysanne.Luther a très vite désavoué les révoltés. S’il juge leurs revendications souvent équitables, il estime également la répression nécessaire. Cette condamnation formelle des révoltés lui conserve son crédit auprès des princes. C’est de ceux-ci, de leur adhésion et de leur appui que va dépendre l’expansion du luthéranisme, pierre de touche des institutions et des sociétés de l’Allemagne du XVIe siècle.La tragédie anabaptisteEn s’étendant, la Réforme perd de sa ferveur primitive, mais les idées radicales et mystiques persistent dans les sectes qui, en réaction contre le nouveau dogmatisme, maintiennent l’esprit primitif. Héritiers des mystiques allemands, des vaudois, des hussites, nombreux dans l’Église de l’Allemagne du Sud avec Carlstadt, Thomas Münzer, les anabaptistes, qui se recrutent parmi les pauvres et les humbles, admettent, après 1525, la nécessité d’un second baptême. Les pouvoirs établis les persécutent. La guerre des paysans les brise dans le Sud. De Strasbourg, les doctrines se répandent dans la Basse-Saxe et la Hollande. En Westphalie, les revendications démocratiques se mêlent aux demandes de liberté religieuse: elles sont écrasées. La défaite des anabaptistes constitue un nouveau succès pour l’absolutisme princier au moment même où l’Église catholique alliée à l’Empereur reconstitue ses forces.La riposte impériale et catholiqueLa politique de Charles Quint contre le luthéranisme s’inscrit dans le cadre de la politique européenne: désireux de rétablir en Allemagne l’unité religieuse et politique, l’Empereur doit lutter à la fois contre le roi de France, qui prétend être le protecteur des «libertés germaniques» et des luthériens – qu’il persécute dans son royaume – et contre les Turcs qui ont atteint Vienne en 1529 et menacent la Méditerranée. Parallèlement se constitue dans l’Église romaine la force de résistance qui lui a fait défaut. En 1540, Paul III a confirmé le nom de la Compagnie de Jésus en plaçant ses membres sous la protection du Saint-Siège. En 1541, Ignace de Loyola a été élu général. L’année suivante, prêts à l’offensive, Lefèvre, Le Jay, Bobadilla passent en Allemagne. Le 22 septembre 1542, Paul III convoque dans la ville impériale de Trente les membres du concile réclamé par la chrétienté et par l’Empereur.La destinée de Charles Quint a toute la profondeur et le mouvement d’une tragédie shakespearienne. En 1546, la guerre a repris contre François Ier allié des Turcs; Charles met le landgrave de Hesse et l’Électeur de Saxe au ban de l’Empire. L’appui du pape et des banquiers allemands, l’aide militaire du duc Maurice de Saxe qui bat l’Électeur Jean-Frédéric, la mort de François Ier, l’inlassable activité de l’Empereur miné par la maladie, torturé par la goutte, mais partout présent, permettent au souverain d’écraser à Mühlberg (24 avr. 1547) l’armée de l’Électeur et de transférer l’électorat à Maurice pour prix de ses services. De partout arrivent les protestations de soumission. La ligue de Smalkalde semble dissoute. La Bohême est durement frappée. Se croyant assez fort pour régler, hors du concile dont l’intransigeance le mécontente, la question religieuse, Charles Quint fait proclamer par la diète, réunie à Augsbourg le 15 mai 1548, les vingt-six articles d’un Interim qui, s’il détruit les avantages conquis par la Réforme, autorise en revanche la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres. Désaveu du concile par l’Empereur, le texte n’entre guère en pratique.Victoire sans lendemain! Maurice de Saxe, nouvel Électeur, change de camp, traite avec le roi de France qui entreprend en 1552 le «voyage d’Allemagne»; au traité de Chambord, moyennant son appui et en qualité de vicaire de l’Empire, Henri II reçoit des princes le droit d’occuper Metz, Toul, Verdun «et autres villes de l’Empire ne parlant pas allemand». Les troupes françaises entrent dans Metz qui résiste à Charles Quint. Maurice s’empare d’Innsbruck d’où Charles et son frère Ferdinand se sont enfuis. Le pape Jules III suspend le concile. Menacé sur le Rhin par le roi de France, en Hongrie par les Turcs, Charles Quint annule l’Interim , rend la liberté à Jean-Frédéric et à Philippe de Hesse, comprend la nécessité de donner à l’Allemagne la paix religieuse.La paix d’AugsbourgLa paix d’Augsbourg du 3 octobre 1555 reconnaît officiellement l’existence du protestantisme en Allemagne pour les États et non pour les individus: cujus regio, hujus religio. Une clause spéciale, le reservatum ecclesiasticum , règle l’affaire des sécularisations, admet les faits accomplis jusqu’à la date de 1552, qualifiée d’«année normale»; calvinistes et sacramentaires sont exclus de la paix. S’affirme alors une double défaite du pape et de l’Empereur avec la formation d’un Corpus catholicorum et d’un Corpus evangelicorum où se regroupent les divers États. La victoire de l’oligarchie princière est éclatante: le peuple courbé sous la discipline d’une Église bientôt prise en tutelle par l’État, les villes sans crédit dans les diètes, menacées dans leur prospérité, les deux tiers de l’Allemagne passés au protestantisme alors que Rome tarde à définir sa doctrine, tel est le nouveau visage de l’Allemagne, terre des lettres et des arts, d’un humanisme pédagogique, religieux et scientifique dont Dürer symbolise la profondeur poignante dans sa Mélancolie.Dernier acte: l’abdication de Charles Quint. Après un essai malheureux pour faire choisir comme empereur par les princes son fils Philippe, il abdique d’abord comme souverain des pays bourguignons, puis, en 1558, transmet la couronne à son frère Ferdinand, responsable depuis 1522 des affaires d’Allemagne et de la paix d’Augsbourg. Fait capital au milieu du siècle: l’Espagne de Philippe II se détache de la nation allemande dont le destin a marqué profondément la conscience européenne.3. L’Allemagne après la paix d’Augsbourg: la Contre-Réforme (1555-1618)Les luttes religieuses et l’évolution politiqueProtestants et catholiques n’acceptent la paix d’Augsbourg que comme une trève: seul l’Empereur peut la faire respecter. Ferdinand Ier (1556-1564) n’hésite pas à faire des concessions aux protestants quand les intérêts de l’Empire l’exigent. Maximilien II (1564-1576) ressemble à son père. Il est l’ami de plusieurs grands princes catholiques ou protestants et semble se rapprocher d’un christianisme érasmien. Il a besoin des protestants dans sa lutte contre les Turcs. Après la mort de Luther (1546), les oppositions théologiques ont affaibli les Églises protestantes.Après treize ans d’efforts, Jacques Andreae, chancelier de l’université de Tübingen, dresse Le Livre de Concorde , publié en 1580, qui, un demi-siècle après la Confession d’Augsbourg, devient avec celle-ci les articles de Smalkalde, les deux catéchismes de Luther et les chorals de ce dernier, le document de base de la Réforme évangélique. L’Église catholique, un moment ébranlée, repart à la conquête du terrain perdu, selon le programme tracé dès 1554 par Ignace de Loyola à Pierre Canisius, apôtre de l’Allemagne.Pendant les trente-six ans de son gouvernement, l’empereur Rodolphe II (1576-1612) voit glisser les grandes affaires d’entre ses mains. Kepler séjourne à sa cour, à côté, il est vrai, de charlatans et d’alchimistes. Il se retire encore jeune à Prague qui brille alors d’un vif éclat. Les rivalités politiques et religieuses grandissent dans l’Empire. Il n’y a plus de véritable Reichstag; les autres organes du gouvernement sont affaiblis; l’Empereur est en butte à l’hostilité de ses frères et des Électeurs de l’Empire: un parti catholique s’oppose au parti protestant, ce dernier comprenant les calvinistes, chaque parti essaie de tirer le maximum des accords de 1555. Cinq questions se posent: reconnaissance du calvinisme; droit de passer à la Réforme pour les villes de l’Empire; sécularisation de couvents et d’abbayes; garantie de la Declaratio Ferdinandea pour les États ecclésiastiques d’Empire et reservatum ecclesiasticum. La lutte se circonscrit autour des évêchés de Cologne et de Strasbourg. Dans l’Union évangélique (16 mai 1608) se groupent les villes et les princes protestants, à l’exception de l’Électeur de Saxe et du duc de Brunswick-Wolfenbüttel. Maximilien de Bavière riposte par la constitution d’une Sainte Ligue (10 juill. 1609) à laquelle adhèrent les trois Électeurs spirituels et le pape Paul V que soutient Philippe III d’Espagne.Au moment où les deux partis s’organisent, la succession de Clèves et de Juliers, d’une grande importance stratégique, offre une occasion de conflit; une guerre générale peut éclater, l’Union évangélique ayant négocié l’intervention de Henri IV. L’assassinat du roi de France marque un temps d’arrêt et Marie de Médicis liquide l’affaire. Le traité de Xanten (1614) confirme le partage provisoire de la succession entre les prétendants sur les bases du statu quo ante. À la mort de Rodolphe (1612) lui succède son frère Mathias qui cède à Ferdinand de Styrie le trône de Bohême (1617). Catholique zélé, disciple des jésuites, Ferdinand, qui devient empereur le 28 août 1619, s’affirme en Bohême et dans l’Empire comme l’agent efficace et actif de la Contre-Réforme.La hausse des prix, la poussée démographique et la nouvelle conjoncture économique et financièreLe siècle des Fugger n’a pas dépassé les années 1550-1560. Au capitalisme patrimonial et familial qui s’effondre dans les grandes faillites de 1557 succède un capitalisme financier, voire industriel, extérieur en grande partie à l’Allemagne. Entre les deux grands cycles, anversois-lyonnais du début du siècle, et hollandais appuyé sur Amsterdam, du siècle suivant, s’inscrit une prépondérance génoise qui dure jusqu’en 1630. Les Génois distancent leurs rivaux, s’installent à Plaisance et Besançon, ville impériale, à Francfort en pleine ascension, absorbant sans trop de peine les contrecoups des grandes banqueroutes espagnoles de 1557, 1575, 1596, 1607, avant que ne s’accélère dans l’Empire la grande crise de dépréciation monétaire que l’histoire a flétrie sous le nom de Kipper ou Wipperzeit. Après 1615, le billonnage se fait hautement à découvert et au nom de l’État, tous les ateliers refondent et altèrent les monnaies existantes pour les affaiblir, et cela jusqu’aux derniers mois de 1623 où une réforme radicale est entreprise. Les crises monétaires, avec toutes les conséquences sociales qu’elles entraînent, ont ainsi précédé puis accompagné, dans le premier quart du XVIIe siècle, l’ouverture de la grande crise politique et militaire.Les différentes régions de l’Empire ont réagi diversement à la hausse des prix. Étudiée par Elsas à Francfort, Leipzig et Spire, elle s’explique, selon cet auteur, par l’accroissement du stock monétaire, et surtout par la poussée démographique qui a obligé à cultiver les terres moins bonnes, augmenté les coûts de production et le prix des denrées. Plus tard, en 1625-1650, la guerre, provoquant un dépeuplement, amènera la chute des prix.Au XVIe siècle, les villes de la Hanse sont encore loin de la décadence parfois affirmée à leur sujet en ce qui concerne le commerce de la Baltique. Les notations relatives aux droits de douane et de péage de la seconde moitié du XVIe siècle montrent même un essor de ce commerce. Mais la concurrence hollandaise se fait rude. En Allemagne du Nord-Ouest, où se trouvent quelques importantes cités hanséates, le commerce de celles-ci recule lentement. Cependant, Hambourg utilise sa position privilégiée et fonde les bases de son avenir; Francfort-sur-le-Main développe ses foires et devient le centre du commerce ouest-allemand; Leipzig attire depuis le milieu du XVIe siècle le commerce des fourrures, et Augsbourg se trouve encore, au tournant du siècle, dans une situation économique avantageuse. Les autres éléments de la vie économique évoluent sous le signe du conservatisme des structures. Le caractère corporatif de l’artisanat est opiniâtrement maintenu, bien qu’il s’agisse plutôt d’une survivance. La vie agricole comporte encore certains aspects positifs. Le commerce du bétail de la Forêt-Noire fait de grands progrès; le vin garde sa position privilégiée comme denrée d’exportation. Mais, dans l’ensemble, la paysannerie allemande travaille encore pour un marché étroit, et une part non négligeable de la terre est aux mains de l’aristocratie des grandes villes qui développe un luxe sans force revitalisante pour l’agriculture elle-même.Le processus de décomposition politique et religieuse n’attend donc pas, pour se manifester, 1618 et le début des grandes opérations militaires. Au moment où monte la puissance des Provinces-Unies, il s’inscrit dans une Allemagne profondément divisée, véritable marché d’hommes, champ de bataille offert à l’Europe. L’œuvre de Kepler (1571-1630) ne suffit pas à faire oublier la décadence profonde des lettres: il semble que la pensée allemande soit complètement absorbée par la théologie, la littérature édifiante et, à l’imitation des Italiens, des Espagnols, des Français, par le roman pastoral.4. La guerre de Trente Ans (1618-1648)L’Allemagne, champ de bataille de l’EuropeLa révolte de Bohême de 1618 peut être considérée comme le début de la guerre de Trente Ans. Mais il ne s’agit encore que de querelles entre États et princes. Le 23 mai 1618, les représentants de l’Empereur sont défenestrés à Prague, et l’aristocratie protestante se révolte contre la domination catholique. Les révoltés constituent un Landtag et un Directoire. Les Bohémiens déposent Ferdinand et élisent, comme chef de leur Union, Frédéric V, Électeur palatin, qui s’installe à Prague. Mais Ferdinand II est décidé à réagir. La France n’intervient pas. Frédéric V reste isolé. En 1620, ses troupes sont battues à la Montagne Blanche. La Bohême paie cher sa révolte; elle est étroitement subordonnée à l’Empereur, roi de Bohême; en Allemagne, Frédéric V continue la lutte, le Palatinat est occupé. Un tel succès des Habsbourg ne peut laisser l’étranger indifférent.Christian IV de Danemark décide d’intervenir; au même moment, Ferdinand II crée une armée commandée par Wallenstein, originaire de Bohême, s’occupant lui-même avec de Witte de l’entretien de ses troupes en les faisant vivre sur le pays. Il bat Christian IV qui signe la paix de Lübeck (22 mai 1629); celle-ci le laisse en possession de ses États, mais il est exclu des affaires allemandes. L’Empereur lance l’édit de Restitution qui lèse les intérêts protestants, surtout en Allemagne du Nord. En 1630, le roi de Suède Gustave-Adolphe débarque en Poméranie avec une armée. Trois raisons le décident: défense de son propre pays, extension de la domination suédoise dans la Baltique et défense du protestantisme allemand. Richelieu fournit les subsides. Gustave-Adolphe obtient un succès complet sur Tilly à Breitenfeld (1631). Les armées suédoises et protestantes libèrent l’Allemagne du Nord et pénètrent en Allemagne du Sud. Les Impériaux sont à nouveau battus à Lützen, mais Gustave-Adolphe est tué pendant la bataille. Pendant que les Suédois, sous la conduite d’Oxenstierna, décident de continuer la guerre, Wallenstein, qui a suscité la jalousie de l’Empereur, est assassiné par ses officiers. Mais les Suédois sont battus par les Impériaux à Nördlingen en automne 1634. L’Allemagne du Nord est rouverte à l’Empereur; la Saxe se rallie en mai 1635: la paix de Prague met fin à la guerre allemande.La France, qui est intervenue d’abord en Italie, a occupé la Lorraine dès 1633, poussé jusqu’au Rhin pendant l’hiver 1634-1635. Des princes allemands entrent dans la clientèle française: l’Électeur de Trèves, Bernard de Saxe-Weimar et toute son armée, le landgrave de Hesse. Des villes d’Alsace font appel à la France. De nouveaux accords sont conclus avec la Suède. Il s’agit d’une lutte pour l’hégémonie européenne ouverte entre Bourbons et Habsbourg de Vienne et de Madrid.À partir de 1640, les événements se précipitent. L’Espagne connaît de graves difficultés intérieures. Les Suédois et les Français prennent l’avantage en Allemagne. En 1648, les Français poussent à travers la Bavière jusqu’à l’Inn. Les événements militaires sont étroitement imbriqués dans les négociations diplomatiques.Les traités de Westphalie, charte internationale (1648)Nouée aux conférences de Münster et d’Osnabrück, la paix décide de la fixation des confessions au sein de l’Empire, des relations des États avec l’Empire, de l’Allemagne avec l’étranger.L’amnistie et la restitution prévalent. La constitution de l’Empire est remaniée et les droits de l’Empereur limités. Dans le domaine confessionnel, on en revient aux principes de 1555, mais en les étendant: on distingue le Corpus evangelicorum du Corpus catholicorum : tous deux doivent délibérer à part pour certaines questions. Le principe Cujus regio est maintenu. Le calvinisme est officiellement reconnu. La Suède et la France reçoivent des compensations territoriales, l’une en Allemagne du Nord, l’autre en Alsace. Metz, Toul et Verdun sortent de l’Empire. Les traités de Westphalie consacrent la prééminence des princes. L’Empereur est dépouillé de la plus grande partie de ses pouvoirs. L’Empire est morcelé dans d’innombrables souverainetés particulières, qui vont se développer en corps politiques indépendants et devenir en Europe de moyennes ou même de grandes puissances. La paix signifie la fin de la longue explication entre l’Empereur et les États. Préparée depuis longtemps, favorisée par les luttes religieuses et en partie par la guerre elle-même, s’impose dans la plupart des États allemands la forme constitutionnelle de l’absolutisme princier, autour duquel va s’opérer la reconstruction du pays.La guerre et la civilisation allemande: le baroquePendant plus d’une génération, la guerre a désolé l’Allemagne. Les pertes en vies humaines ne sont qu’un aspect du problème, il y a aussi les déplacements, les migrations, les brassages sociaux, phénomènes fort complexes.On note une hausse considérable de la mortalité dont la première cause est l’épidémie, qui décime des familles entières, mais aussi la baisse du nombre des mariages pendant les troubles, la diminution de la natalité sinon des conceptions, en rapport avec la sous-alimentation et l’insécurité. Le dépeuplement n’est pas dû uniquement à la mort des individus, mais à leur changement de résidence, départs individuels ou collectifs pour une destination qui, à tort ou à raison, paraît plus favorable. Une distinction est à opérer entre les villes et les campagnes, celles-ci ayant plus souffert que les villes. Dans l’ensemble, d’après les travaux de Günther Franz, on peut dire que les trente années de guerre et les épidémies ont coûté à l’Allemagne 40 p. 100 de la population des campagnes et 30 p. 100 de celle des villes. Cette reconstruction manque de capitaux importants, de main-d’œuvre abondante et à bon marché, de progrès techniques décisifs, d’une politique économique à larges vues. Ainsi peut s’expliquer le retard constaté par certains historiens dans la vie économique allemande au siècle suivant.Le recul du grand commerce se traduit par trois faits: le déclin de la Hanse, sauf Hambourg, malgré une tentative de reconstitution limitée en 1630, le recul de l’axe rhénan du fait de l’insécurité et des péages, la montée de l’Est avec l’essor de la Silésie, et de Leipzig qui tend à supplanter Francfort comme foire internationale. La paralysie générale du capitalisme commercial influe sur le développement de la grande entreprise, commencé à la fin du XVIe siècle. Les conseils de ville interviennent pour défendre les corporations, empêcher l’établissement de monopoles, favoriser la création de magasins, interdire l’exportation de certaines denrées, fixer les prix maximaux. Devenus puissances dirigeantes, les princes territoriaux attirent à eux la législation industrielle et commerciale: la guerre hâte le passage du régime économique urbain du Moyen Âge au régime territorial de l’époque moderne, au profit des princes, des possesseurs des grands domaines reconstitués, surtout à l’Est, des financiers qui organisent et s’enrichissent de l’inflation, des fournisseurs aux armées dont les destinées rappellent celles des traitants et partisans en France à la même époque.Dramaturges, romanciers, poètes lyriques ne cessent de rappeler l’extrême fragilité du destin, les revirements de la fortune, le néant de l’homme face à Dieu. L’essentiel reste cependant l’effondrement spirituel de beaucoup, l’immoralité, et le peu d’écho que trouvent les œuvres littéraires, coupées du peuple. Ce qui reste d’esprits libres se tourne vers l’étranger. Dans cette période apparaît le Simplicissimus , œuvre picaresque dont l’auteur est Christophe de Grimmelshausen, roman pessimiste, décrivant la guerre et ses séquelles, profondément humain. L’esprit national n’a pas disparu complètement: Opitz (1597-1639) publie un Aristarque, ou Du mépris de la langue allemande , où il montre que l’allemand a toutes les qualités d’une langue littéraire. Il publie en 1624 un Traité de la poésie allemande. Avec Gryphius, Fleming, Spee et Angelus Silesius fleurit la poésie religieuse, politique ou populaire. Même aux époques de pires misères, le théâtre reste sous ses formes diverses fraternel et consolateur: théâtre ambulant (Wanderbühne ), théâtre d’inspiration religieuse ou profane, ou théâtre de cour. L’influence italienne se fait sentir dans la création artistique, elle épouse la Contre-Réforme. L’Église doit parler au peuple, enchanter l’imagination, saisir l’individu tout entier. De son côté, l’art affirme la prééminence politique. La musique reste la grande consolatrice et prépare les réveils futurs. La pensée baroque, produit d’une époque inquiète qui se cherche dans sa désespérante complexité et les vicissitudes angoissées de la vie quotidienne, excelle à unir les contraires et, si elle n’a pas produit d’œuvre d’une envergure exceptionnelle, apparaît puissamment révélatrice de la société allemande de la première moitié du XVIIe siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.